Alain Gras

 

Le choix du feu

 

Fayard Paris 2007

 

 

 

 

 

Voilà un livre qu’on pourra relire avec intérêt au milieu du débat sur la transition énergétique et qui qui aide à comprendre ce que nous vivons après l’explosion au Japon de la centrale nucléaire de Fukushima. Enfin c’est une façon de sympathique de présenter ce livre, « le choix du feu » et de compter sur le lecteur de cette fiche de lecture pour savoir étendre ce qu’il comprendra à l’énergie nucléaire car en fait l’auteur ne consacre pas de chapitre à cette source d’énergie. On a la déception de le voir parcourir l’histoire industrielle depuis la révolution industrielle du 18° siècle, d’expliquer le chemin de fer la voiture et l’avion alors qu’il s’arrête malheureusement juste au bord de l’accident nucléaire qu’il anticipe mais qu’il ne traite pas du tout.

 

 

Faut-il penser que le choix du feu est une façon de dire le choix du nucléaire ?

  

 

Au chapitre III, M.Gras propose de changer de modèle mais ce changement sera illustré seulement par le cas de la voiture. Voici le texte :

 

« Avec ce modèle des équilibres ponctués, la prévision sur la longue durée devient de fait impossible. Durant une période dont la durée peut varier grandement si on la mesure en années solaires, une espèce semble l’emporter puis, brusquement, c’est une autre, dont l’existence était cachée et qui avait gardé un potentiel multiple, qui refait surface et ainsi de suite. Il n’y a pas de gagnant sinon provisoire au grand jeu de la vie. Et la notion d’élimination du plus faible par le plus fort perd tout son sens. Le faible en effet s’il sait se cacher et se protéger dans une niche écologique, ressortira tout fringuant lorsque le fort s’étouffera dans son appétit de puissance.

 

«L’exemple pourrait être appliqué à la technologie. Reprenons le cas le plus simple celui de la voiture. Lorsque le pétrole était abondant et bon marché1, le moteur à essence (c’est à dire à gaz liquide) était considéré comme bien supérieur a celui à l’huile lourde d’hydrocarbure, le diesel. Mais quand le prix du baril devient dissuasif, alors le pétrole moins raffine, l’huile, retrouve son intérêt. Et si « l 'huile de roche » vient à manquer alors le diesel, ou diester, l’emporte sur tous ses concurrents –au moins pour des usages restreints- grâce à l’huile végétale, de colza, mais, betteraves, tournesol et autres. Le moteur à essence n’aura ouvert qu’une parenthèse dans l’histoire du moteur à explosion et le diester la fermera peut-être. Je me place ici volontairement, pour simplifier l’illustration, dans un mode de vie relativement inchangé ou la puissance de la chaleur garde sa place. Mais il ne s’agit ici que d’une trajectoire thermique… Nul ne sait qui sera le prochain gagnant de la loterie ni si on pourra encore jouer a cette loterie. (Je viens de montrer dans la première partie la véritable infamie que représente le car burant vert s’il est utilisé pour ne pas changer de mode de vie).

 

 

 

« L’éveil de la puissance de la puissance du feu du feu endormi sous la terre et engrangée dans les roches (dont l’uranium qui lui aussi sera épuisé dans quelques années) a bouleversé l’échiquier planétaire, mais est-ce là l’aboutissement »

 

 

 

A vous de juger quelle action d’éclat l’auteur aurait pu accomplir en songeant des le point de départ à l’application nucléaire, a moins que des son point de départ il ait pensé à un aménagement de cette industrie plutôt qu’à sa disparition.

 

 

Plus loin p 122 Alain Gras précise : « la bifurcation vers une voie technique mêle, au moment du choix d’avenir, des être humains et des artefacts ». 2

 

 

Il fait l’histoire du feu en trois étapes qui sont les trois étapes de la thermodynamique

 

  • L’équivalent entre la chaleur et le travail

  • L’univers perd son ordre

  • Puis vient Nicholas Georgescu Roegen

 

 

 

Gras résume« La transformation de la chaleur en action mécanique est irréversible et la dégradation thermique irrécupérable » p145 c’est une opposition frontale a la théorie marxiste qui affirme au contraire que l’homme est doté d’une force de travail et que cette dernière augmente avec son travail. C’est à dire que celui qui travaille gagne en force en expérience en savoir faire3. L’analyse de Gras ne comprend pas la différence entre valeur d’usage et valeur d’échange. Par exemple Marx en tant qu’auteur et artisan de son œuvre n’a aucun doute sur le fait qu’il augmente de valeur. Il était très orgueilleux et le nombre de volumes de son Capital compte beaucoup.

 

 

 

De nouveau un peu plus loin git un autre point de désaccord. On est p 165 et Gras affirme que la machine se met en route, comme un « fait social total ». C’est ce qui pourrait s’appeler un holdup up sur la sociologie française l’expression ayant son origine dans Marcel Mauss l’essai sur le don. Et en effet ce n’est pas la machine qui est un fait social total mais l’écologie elle même c’est à dire l’homme dans son environnement. Ou bien l’être humain conserve son environnement, ou bien il le détruit, la machine dans cette histoire n’étant qu’une partie de son rapport général à la nature. Si Gras acceptait l’idée de la machine comme fait social total il se contredirait avec la théorie de l’évolution précédemment citée et qui conserve des réserves cachées dans l’écologie. Il faut s’entendre : si la machine est le fait social total par exemple le site de production d’énergie atomique qui a explosé au Japon l’explosion serait une apocalypse qui aurait mis fin à l’usage de la machine qui en a été la cause. Au contraire si c’est l’écologie le fait social, l’énergie nucléaire n’est qu’une parenthèse dans notre univers qu’on va refermer en toute connaissance de cause entre 2030 et 2050 pour passer à d’autres réserves écologiques tels que le solaire ou l’hydrogène.

 

Ces différences ne sont pas d’ordre dogmatique. Personne ne va faire un parti politique qui s’opposera à un autre sur des questions de ce genre. Même la question de savoir si la force de travail gagne en valeur avec l’expérience dans une société ou il n’y plus de biens privés de production et ou il devrait être automatique de rémunérer les gens en proportion de leur effort éducatif, donc même cette question n’intéresse plus les historiens du socialisme. Par contre on verra naître des degrés d’optimisme quant au pouvoir de démanteler les machines qui doivent leur fonctionnement au « choix du feu » et au pouvoir de continuer une histoire sociale sans elles. Il nous semble que celui qui fait de la machine un fait social total envisage la possibilité d’une disparition complète de l’humanité parce que la radioactivité est capable de nous détruire tandis que celui qui n’engage pas le rapport de l’homme à la nature dans le rapport de l’homme à la machine espère toujours que le nucléaire ne sera qu’une période temporaire et qu’il arrivera enfin un jour ou on démantèlera aussi bien les installations civiles que les installations militaires. Ce n’est pas gagné..

 

Dans le modèle de croissance anti darwinien qui nous est proposé il y a des points historiques ou se constate les changements de civilisation. Il implique de la part de l’homme une capacité de revenir en arrière. C’est ce qui devrait pousser les philosophes à opposer ce livre d’Alain Gras à la phénoménologie d’Edmund Husserl. Car selon le premier en revenant en arrière la civilisation aujourd’hui mondiale change de phénoménologie tandis que selon le second, la phénoménologie par définition est inchangeable. C’est impossible de revenir en arrière. Ainsi la Chine qui était moins développée que l’Europe au 15° siècle ne peut pas revenir au 15° et a été entrainé de façon irréversible dans la globalisation. On peut s’opposer à la phénoménologie en démontrant que la connaissance de la Chine a été occultée dans la vision globale de Husserl mais on ne peut pas imaginer une phénoménologie comme celle d’Alain Gras qui concernerait l’Europe sans s’étendre au reste du monde.

 

 

 

Après ces points de doctrine et le droit dialectique de revenir ou non en arrière pour le démantèlement des installations nucléaires militaires et civiles viennent trois passages sur lesquels le lecteur gagnera à réfléchir car c’est une vérité que le système industriel créé en intensité et en extension géographique un désordre de plus en plus grand :

 

  1. « P 170 : la reproduction des fictions thermo industrielles conserve un stupéfiant dynamisme, et, dans un domaine plus large que celui de la production d’électricité, sans doute sommes nous constamment confrontés, depuis Edison, à une nouvelle forme d’hypocrisie sociale, celle du camouflage des effets pervers du développement technologique »… « Les centrales nucléaires poussent en effet, à son paroxysme la contradiction entre les deux faces de la médaille du progrès technique : l’absolue propreté et l’extrême facilité d’obtention de sa part de puissance par l’usager…d’une part, et la violence inouïe contre ces mêmes usagers que recèle potentiellement le lieu de production…..d’autre part »

  2. p184 : le mouvement que l’on a appelé socialisme utopique en est directement issu mais, venu après la victoire de la vapeur, il abandonne la contestation de la machine et ouvre la voie a la représentation de la neutralité de la technique, que Lénine portera au plus haut degré d’aveuglement par son slogan : « le communisme c’est l’électricité plus les soviets. » le communisme restera marqué par les stigmates de productivisme et de l’évolutionnisme que Marx, dans la théorie des trois modes de production décrira comme un fait technico-économique : le mode de production antique ou l’esclavage fournit l’énergie ,le mode de production féodal dans lequel le moulin est accaparé par le seigneur, et celui, capitaliste, qui voit le bien de production collectif, la technologie industrielle en particulier devenir un bien privé.

  3. P189 : …c’est dès la seconde moitié du XIX° siècle que l’intelligentsia européenne a adopté les idées venues d’Angleterre. Une partie de la raison humaine occidentale a basculé à ce moment la dans la frénésie thermodynamique. Le monde des puissants s’est identifié au règne de la chaleur, la thermodynamique, plus précisément la thermodynamique des flux. Ma troisième thèse est que le recours à l’énergie fossile pour alimenter une machine soutient la représentation d’un monde artificiel ou l’homme serait libéré des chaines de la nature et des servitudes du corps. Pour ce faire il a du se convertir à la religion du progrès et construire la megamachine monde. Une nouvelle loi de l’évolution mécanique et thermique était inventée.

 

Chez Alain Gras Marx est descendu de son piédestal. On comprend par la 2° citation comment l’expérience du socialisme est revenue dans le système industriel général dans le modèle de la thermodynamique.

 

Par contre l’idée d’un « stade ultime du rêve thermodynamique » est douloureuse à lire.

 

Outre que l’avion dernière machine analysée dans « le choix du feu » n’est pas la machine la plus récente de notre système industriel puisqu’il a été suivi de l’énergie nucléaire qui vient d’exploser pour la 2°fois. Ou alors il faudrait que l'auteur nous explique comment historiquement l'avion et l'atome se sont trouvés être contemporain car l’avion est en charge de porter la bombe. Peut-être qu'il a voulu dire que la technique s'était développée de façon continue ? Mais alors dans ce cas le titre « le choix du feu » laisse de coté une des expériences les plus éprouvantes faite par l'homme, celle de l'internet. En effet un 21°siècle déja bien mal engagé chacun sait que l’expérience thermodynamique la plus massive jamais entreprise est celle de l’internet qui épuise toutes les données de l’univers au fur et à mesure qu’il se développe.

 

 

 

 

 

Pour conclure en revenant à la vie de tous les jours on peut imaginer « un homme du feu » qui a appris à rester devant une chaudière du chauffage centrale, à regarder le charbon rougeoyer. On pourrait aussi lui donner une qualification de soudeur. Il sait porter le métal à sa température de fusion. Il est même entré dans un haut fourneau arrêté pour aider à le décalaminer. Son meilleur souvenir de feu est celui de la forge lorsque le godet empli d’acier en fusion venait remplir les moules. Il parait que dans le bain de fusion on peut voir à l’ œil nu les électrons se détacher dans certaines parties blanches de la combustion. L’homme du feu rêve d’être artisan d’avoir une forge à lui et d’y tordre ces fers de forges dont on fait des scellements.

 

Mais l’expérience du bois est aussi fascinante et c’est désormais devant une chaudière à bois et non plus a charbon qu’il passe du temps. Car, en dépit du progrès technique qui lui permet de faire bruler du bois pendant plus de 10hde suite par la réversion de la ventilation, il est obligé de consacrer un temps fou à couper des arbres a la tronçonneuses, à les débiter, à transporter le bois puis a le le faire sécher. Il se demande si on a bien le droit d’affirmer que le bois est durable et renouvelable, et si au contraire on n'en sera pas bientôt a la destruction complète des forets. Il se dit qu'étant donné le bas cout des énergies fossiles il vaudrait mieux les utiliser contre le réchauffement climatique plutot que de s'enthousiasmer d'une oprobre qui consacre en efitive le triomphe du thermo-nucléaire.

 

 

 

L’homme du feu n’a pas changé de civilisation4 en passant du charbon au bois. Il participe à l’extension du système mondial de la même façon qu’avant et le sentiment de revenir en arrière dans une pratique telle que l’affouage n’est que subjectif. L’homme du feu aime le feu parce qu’il chauffe.

 

L’homme du feu, sans doute comme Alain Gras, a lu autrefois jeune, le livre de Gaston Bachelard « la psychanalyse du feu ». Il se garde d’aimer le feu pour lui-même et ne mets pas le feu aux forets de même qu’il craint toujours le pire qui est de voir le feu mettre fin à la maison de bois. Peut être y a t’il au départ une lecture différente de la psychanalyse du feu de Bachelard, qui a l'âge de 18 ans fait aimer le feu pour lui même, et non pour le réseau de ceux qui plantent le bois, l’entretienne en forets, le coupe le regroupe le transporte, le travaille, fait social certes, mais surement pas « total » ?

 

 

 

Meleze

 

 

 

PS Il convient egalement de signaler a nos lecteurs un autre résumé de ce livre qui a été par Luc Semal en 2008 pour la revue du developpement durable.

 

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1Au moment ou va commencer la COP 21 le pétrole et le gaz n'auront jamais été aussi bon marché. C'est le monde à l'envers.

 

2Un terme de vocabulaire tres interessant car il nous renvoie aussitôt a Jerome Monod, que nous avons beaucoup étudié : « La distinction entre objets artificiels et objets naturels paraît à chacun de nous immédiate et sans ambiguïté. Rocher, montagne, fleuve ou nuage sont des objets naturels; un couteau, un mouchoir, une automobile, sont des objets artificiels, des artefacts. J. Monod, Le Hasard et la nécessité, Paris, éd. du Seuil,1970p. 11.

 

3Il faudrait utiliser ici le vocabulaire de l'école de B.Stiegler « ars industria » dont Gras est tres proche et dire que le travil humain grace a la science est « negentropique ».

 

4Alain Gras a été écouté sinon entendu par le gouvernement qui cité par Alternatives économiques a decidé de mettre fin aux subventions de projets qui utilisent du charbon. On voit que le desinvestissements des fuels fossiles n'est pas le désinvestissement de la civilisation du feu !