Jacques Attali, La parole et l'outil, PUF, 1976
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- Published on Tuesday, 05 February 2013 07:24
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Jacques Attali, La parole et l'outil, PUF, 1976
M.Schwab qui est l'organisateur du forum économique mondial de Davos et qui d’après un article du « Monde » serre si volontiers la mains de gens si divers devrait au moins un fois organiser une poignée de main avec Jacques Attali. Car si il y a un auteur dont on peut dire qu'il affirme a coup sur que le capitalisme est limité dans le temps contrairement à ce qu'enseigne Klaus Schwab c'est bien Jacques Attali.
En 1976 ce dernier est encore très jeune. Il fait l'effet d'avoir « tiré un coup de canon avec sa formule » : « l’irréversible crée le discontinu ».
Mais qu'est-ce qu'il veut dire par là ? Est-ce que c'est très différent d'une formule toute politique qui a été longtemps : « la révolution est inévitable » ? L'aura de la formule crée une incertitude du lecteur en face d'un auteur qui va se lancer quelques chapitres plus loin « dans l'implosif décentralisé autogestionnaire ». En fait l'auteur n'est pas très sur de lui. Dans une sentence comme « la révolution est inévitable » on veut désigner en général, que quelque chose de très important casse dans le système politique tandis que par ailleurs les activités économiques scientifiques , les propriétés des gens continuent de suivre leurs lois propres. La continuité scientifique a travers le bouleversement politique est notamment très impressionnante. C'est comme si la science fonctionnait sans le risque. Des résultats scientifiques créent une onde de choc qui se propagent a travers des bouleversements sociaux a la simple condition que les savants parfois changent de lieu pour continuer leur œuvre. Le savant trouve une sérénité sur le modèle de Blaise Pascal face aux changements du monde.
Jacques Attali peut utiliser n'importe laquelle des deux formules « l’irréversible et le discontinu » ou bien « l’irréversible crée le discontinu » et c'est sans doute la raison pour laquelle « la parole et l'outil » en dépit de ses anticipations fulgurantes n'est jamais devenu un grand livre.
Pour nous c'est très étonnant qu'il n'existe aucun commentaire de la Parole et de l'outil sur internet. Étant donné que toute cette réflexion de la fin des années 70 a sonné le départ des années de l'informatique qui ont vu la croissance continue des systèmes d'information, l'explosion de l'internet, des satellites, et des téléphones portables on peut éprouver par sa propre expérience ce qui a été irréversible, mais par ailleurs, douter de ce qui sera discontinu. Est-ce qu'il existe même quelque chose de discontinu dans le domaine de l'information ?
Après tout il n'y a rien de si extraordinaire dans la parole et l'outil qui justifie un acharnement à toucher des droits d'auteur plutôt que l’intérêt à une discussion publique sur la perte de l'information en ligne étant donné l'entropie de base qui préside à la croissance de l'internet. On aurait pu penser étant donne la brillantissime anticipation a laquelle Attali se livrait a la fin des années 1970 qu'il aurait été content de prouver à quel point il avait été clairvoyant en laissant son livre se banaliser sur le net et justifier à chaque instant la place dominante qu'il occupe à la tête du site Slate.
Mais ce n'est pas le cas non plus.
Ce que nous devons a ce livre c'est d'y avoir lu pour la première fois clairement énoncé que « la dégradation de l'environnement est une absolue nécessite pour la survie d'un système ouvert » (p 104). C'est de cette façon que triomphait à la fin des années 1970 un système de pensée inspiré du keynésianisme mais qui s'en distinguait aussi beaucoup compte tenu du recensement de ce que l'auteur appelle les stocks et les flux.
L'auteur, a la fin des années 1970 réalise une percée en se distinguant de l'analyse keynésienne par la part des informations qui sont relâchées par les objets de l’économie politique lorsqu'ils sont mis en œuvre. Nous ne pouvons pas garantir que nous nous exprimons mieux en tant que commentateur que lui même a l'époque en tant qu'essayiste. Mais c'est un fait que les investissements des entreprises sont suivis par des données comptables qui ont commencé à l'époque à devenir bien ridicules et bien insuffisantes eu égard au développement de l'informatique car l'investissement dans ce seul secteur par des compagnies telles qu'IBM s'est mis à faire danser la sous traitance et les comparaisons de coûts internationaux qui allaient être la cause du départ de la mondialisation.
L'auteur de la parole et de l'outil écrit « que l'investissement est une dégradation des stocks » et que « l'objet n'est pas un émetteur de d'information mais un canal de communication en même temps qu'il stocke l'information ». C'est ce qu'on pourrait appeler la fuite dans un système d'information. Le keynésianisme est toujours actif et présent en tant que doctrine avec ses fonctions d’épargne et d'investissements de consommation et de production mais les objets se sont mis a relâcher des informations. Ils parlent. Plus on les travaille, plus on les vieillit et plus on les use, plus ils remplissent les systèmes d'informations qui ne sont jamais assez puissants pour exprimer tout ce qu'ils ont à en dire, tandis subissent de leur coté un développement ininterrompu et très rapide.
C'est vraiment regrettable que dans ces années la, Jacques Attali n'appliquait pas encore cette idée du déstockage à la valeur humaine. L'ADN venait d’être découvert et les biologistes étaient en train de décrypter le génome. Jamais un aussi grand stock d'information n'avait été libéré par la mise en œuvre des forces productives. C'est l'homme lui même en tant que travailleur et savant qui allait se révéler le bénéficiaire de ce livre « la parole et l'outil ».
Au début de son œuvre, en 1979, l'homme en tant que générique de la population formée des deux sexes et de toutes les races, ne fait pas encore partie des stocks. Il n'existe à ce moment là qu'en tant que force de travail. Ce stock humain n'explose pas de la même façon que les autres sources d’énergie qui contribuent au développement d'un système capitaliste dit explosif par opposition au modèle que souhaite Attali et qu'il appelle « implosif ». C'est dommage. La population mondiale a entre temps dépassé 7 milliards d'individus. Il est clair qu'appuyée par le développement gigantesque des moyens d’échange d'information que c'est en elle même, dans ses différenciations en age et en formation, que la race humaine peut trouvera une forme de développement presque infini.
Bien entendu ça se discute. Chaque jour qui passe avec Facebook ou Google nous montre un internaute de plus en plus dépossédé de son jugement réduit a un statut de consommateur le plaçant pieds et poings liés dans les mains des stratèges de la finance. L'internet n'a pas changé le caractère explosif et consommateur des stocks du capitalisme quoique la science ait élevé cette explosion et cette consommation a l'infiniment petit et a l'infiniment grand. Il est bien possible que le monde se dirige vers les anticipations dictatoriales de l’écrivain anglais Georges Orwell toujours très à la mode bien que l'année 1984 qu'il avait fixé comme charnière soit dépassée depuis longtemps.
Par rapport à cette éventualité Attali a une réponse plutôt technique. Il est fasciné par la 2°loi de la thermodynamique dite loi de l'entropie. Car de même que les boites utilisées par les chimistes pour leurs expériences en cinétique des gaz, le système économique qu'on nous peint sous les lois du marché est un système qui perd toujours plus d’énergie qu'on ne lui en apporte. Par exemple il fabrique des autoroutes, et des embouteillages; ou bien de la consommation de masse et des déchets. A cette époque J.Attali vient de finir les livres de l’économiste américain d'origine roumaine Georgescu-Roegen et lui reste fidèle d'un bout a l'autre de la Parole et l'outil. Ainsi Keynes ne peut se comprendre sans la séparation entre la comptabilité financière et la comptabilité physique et en outre il faut tenir compte de la décroissance. L'ensemble de l’économie réagit comme le transport de l'information. Elle fait du bruit et perd sa fiabilité. Elle doit être compensée sans cesse par des mesures dites de : « neguentropie ».
A ce point de notre raisonnement il serait utile que le lecteur prenne la mesure des anticipations de l'auteur. On a déjà vu dans les paragraphes précédents la haute conscience de l'environnement avec laquelle l'auteur de la parole et l'outil a commencé sa carrière politique. Il reste deux autres questions ou sa clairvoyance fut extrêmement brillante :
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la question de la mondialisation
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la question du développement des techniques de l'informatique et de la communication.
La mondialisation l'auteur ne l'a pas inventé. C'est sa conception des stocks et des flux qui lui donne l'intuition que dans n'importe quel domaine de l'activité économique les calculs coût avantage qui sont désormais a la portée de tous les ingénieurs vont créer un déstockage inattendu et selon un flux infiniment plus puissant que tout ce que le colonialisme et l’impérialisme avait déjà internationalisé avant que la mondialisation n'apparaisse. C'est ainsi que Nike équipa de baskets des milliards d'êtres humains qui marchaient encore pieds nus.
Par contre sur la question des techniques de communication J.Attali se trompe. Il les voit comme un retour de l'information dans un système économique qui a cessé d’être explosif pour devenir implosif. (impossible de définir ces termes). Ce sont des situations approximatives au sein desquelles l’état joue un rôle plus ou moins dominant. Donc ces techniques de suivi de l'activité économique par l'informatisation n'ont pas eu le coté fédérateur que jacques Attali en attendait. Il aurait sûrement cru en 1979 que l’État dominerait des grandes compagnies comme Google et autre Amazone a qui on s'efforce maintenant de faire payer leurs impôt et d’empêcher que la civilisation du livre et des journaux écrits ne disparaisse.
Ce qui a manqué aussi ces 30 dernières années c'est un fort démarquage par rapport aux théories de Jean Fourastié, économiste des années 1950, qui continuent à survivre y compris sur internet et ce en dépit de l'incapacité de la société de services à absorber le chômage et du fait que les hausses de productivité concernent aussi bien le « secteur tertiaire » que ce que Fourastié appelait « les secteurs primaires et secondaires ». Les calculs de Fourastié sur l'exode rural puis sur les hausses de la productivité dans l'industrie n'ont jamais été refaits alors qu'on peut constater chaque jour que les gens des services doivent revenir vers l'agriculture ou bien vers des activités manuelle.
Alors que du fait de l'entropie, la société productiviste se bloque toute seule (s'autobloque) la mesure de la productivité a été admise à tort dans les années 1950 comme l'explication d'un progrès technique continu et sans avoir jamais été définitivement réfutée. Ainsi, les administrations centrales de l'état et des collectivités locales souvent décrites comme des bureaucraties, n'ont pas cessé de gagner en productivité alors que c'est dans les secteurs administratifs que la progression des techniques d'information et de communication ont le plus bouleversé la vie quotidienne comme le prévoyait Attali et non pas comme le prévoyait Fourastié. Il y a une grande différence de génération entre les deux auteurs qui s'ignorent et se ferment jamais la porte l'un a l'autre comme si il était logique en démocratie que les socialistes après avoir gouverné redonnent leur place à la droite et voir aussi à l'extrême droite.
Comment se fait-il que l'idée d'un économiste soit devenue un théorème ? Comment peut-on réindustrialiser un pays dont le dogme est de faire évoluer toute la main d' œuvre vers une société de service ?
Meleze
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